
Du quai à la dynastie : l’histoire de Crazy Lobster Limited
Si vous vous promenez un jour le long des côtes de Canso, en Nouvelle-Écosse, il y a de fortes chances que vous aperceviez l’un des bateaux de Bill Bond glissant sur les eaux matinales. Le vrombissement du moteur, les embruns salés, l’odeur de l’appât dans l’air sont des signes d’une vie passée en mer, une vie que Bill mène depuis plus de cinquante ans. Son entreprise, Crazy Lobster Limited, a peut-être un nom peu conventionnel, mais ses opérations, elles, sont tout sauf farfelues.
Une vocation de toute une vie
La pêche n’est pas qu’un métier pour Bill, c’est une partie intégrante de son identité. « J’ai commencé à pêcher l’éperlan et à le vendre vers 13 ou 14 ans », se souvient-il. « J’allais pêcher quelques heures le matin, puis je revenais pour aller à l’école. Une fois mes études terminées, je pêchais le hareng le matin et je travaillais de nuit à l’ancienne usine de poisson de Canso. » Grandir à Canso, une communauté de pêcheurs soudée à la pointe est de la Nouvelle-Écosse, signifiait souvent suivre les traces de sa famille. Bill a fait exactement cela, partant en mer avec son père jour après jour, accumulant l’expérience et une connaissance approfondie de l’océan.
Bien que Bill ait commencé par la pêche au hareng, il n’a pas tardé à obtenir son premier permis de pêche au homard avec son frère. « On l’a acheté d’un gars de Whitehead », dit-il, marquant ainsi le moment où un simple travail est devenu une véritable carrière. Au fil des ans, il a continué à pêcher le hareng, le maquereau et la crevette, mais s’est concentré principalement sur le homard. Aujourd’hui, son entreprise compte deux bateaux, dont un est dirigé par le conjoint de sa fille, faisant de cette aventure une véritable affaire de famille.
Construire une entreprise, un bateau à la fois
Crazy Lobster Limited a été officiellement incorporée l’an dernier, bien que Bill ait travaillé de façon indépendante sous son propre nom pendant des décennies. La formalisation de l’entreprise s’est imposée naturellement, au rythme de sa croissance constante.
Un moment décisif est survenu il y a environ 15 ans, lorsque Bill a été mis en contact avec Wanda MacDonald de la CBDC Guysborough pour financer un nouveau bateau. « J’ai entendu parler d’eux, j’ai vu qu’ils faisaient des prêts commerciaux et moi, j’ai clairement une entreprise », explique-t-il. « Alors je suis allé à la CBDC, on s’est assis pour une petite réunion, puis ils ont présenté ça à leur conseil. Et c’est passé. »
Ce soutien s’est concrétisé par un prêt d’environ 300 000 $, structuré selon les règles de prêt en vigueur. Il a permis de financer un bateau neuf construit à St. Peter’s. « C’est facile de travailler avec eux, ils sont très accessibles », dit Bill à propos de la CBDC. « Je les appelais toujours avant de m’arrêter pour faire un paiement ou autre. » Grâce à leur aide, il a remboursé le prêt en un peu plus de six ans, bien avant l’échéance.
Plus récemment, la CBDC a également appuyé l’achat d’un deuxième bateau, ce qui a permis d’élargir l’entreprise et de créer plus d’emplois locaux. « Ils ont été très agréables à côtoyer », ajoute Bill. « Si jamais j’avais un pépin, je savais qu’ils sauraient gérer ça. Mais jusqu’à maintenant, tout va bien. »
Défis et réalités
Malgré son amour profond pour la pêche, « J’ai toujours adoré ça, depuis que je suis tout petit », Bill ne cache pas les défis. Le plus grand défi ? La bureaucratie liée aux règlements modernes. « Maintenant, ils sortent le journal de bord électronique », explique-t-il. « Il faut avoir son téléphone ou son ordi à bord et tout consigner. » Selon lui, le ministère des Pêches et des Océans (MPO) a transféré une grande partie de la paperasse aux pêcheurs. « Ils ne veulent plus s’en occuper, alors maintenant, on doit payer une compagnie pour saisir les données à leur place. »
La technologie a aussi transformé la vie à bord. « J’ai un écran où je peux voir différents angles de mon moteur. J’ai les traceurs TimeZero, les radios VHF, le GPS... on essaie de se tenir à jour avec ce qu’il faut pour s’en sortir », dit-il. Les bateaux sont plus intelligents et connectés que jamais, mais ils sont aussi plus coûteux et exigent un entretien constant.
Le marché mondial du homard présente lui aussi son lot d’obstacles. Tarifs douaniers, exigences à l’exportation, fluctuations des prix, tout cela a un impact sur les revenus. « Ça touche à tout », dit Bill à propos des récentes turbulences liées aux politiques commerciales. Pourtant, les prises finissent toujours par atteindre les marchés internationaux, notamment grâce à des acheteurs comme Fisherman’s Market International à Halifax. « Ils viennent ici depuis probablement plus de 40 ans », souligne-t-il.
Le chemin (ou les eaux) à venir
Pour l’instant, Bill reste à la barre, se levant avant l’aube pour pêcher avec un équipage composé d’amis proches et de membres de la famille. En fait, sa femme et sa fille préparent les appâts régulièrement. Mais il n’hésite pas à évoquer la suite. « Je suis rendu trop vieux pour ces gros prêts », dit-il en riant. Le moment venu, il pourrait transférer son permis à un jeune membre de son équipage. « S’il n’achète pas de permis ou quelque chose, peut-être que je finirai par lui vendre le mien. »
La mer peut être imprévisible, mais l’héritage de Bill, lui, ne l’est pas. Grâce à son travail acharné, à des partenariats judicieux et à une passion inébranlable pour la pêche, Crazy Lobster Limited est devenue un pilier à Canso et un exemple inspirant d’entrepreneuriat rural sur la côte sauvage de la Nouvelle-Écosse.
« La pêche au homard est bonne ici en ce moment », réfléchit Bill. « Mais je suis dans ce domaine depuis assez longtemps pour avoir vu les hauts et les bas. Il faut être prêt pour les deux. »
Et il l’est.